samedi 4 août 2012

Un salary cap européen?

Une proposition de résolution pour encadrer la rémunération des joueurs


Cela est passé un peu inapercu mais quelques députés (dont David Douillet et Jean-François Lamour, deux anciens Ministres des sports) ont déposé une proposition de résolution européenne "visant à limiter la masse salariale des clubs sportifs professionnels".

Dans l'exposé des motifs, on lit : 
"(...) En effet, il convient de rappeler que l’intérêt des compétitions sportives pour les spectateurs et les financeurs, qu’ils soient publics (État, collectivités) ou privés (sponsors, médias, etc.) repose sur l’aléa sportif et l’incertitude du résultat. Pour parvenir à cette incertitude, il est indispensable d’assurer un équilibre compétitif entre les différents participants, c’est-à-dire une répartition équilibrée des moyens financiers et humains. Le salary cap, qui limite la masse salariale de chaque club à un plafond déterminé, permet de conserver cette équité dans le sport. 
De plus, le salary cap permet d’éviter l’endettement massif de certains clubs qui, faisant exploser leur masse salariale, mettent en danger leur modèle économique. En effet, la crise financière a révélé que de nombreux clubs professionnels européens s’étaient lourdement endettés pour engager les meilleurs joueurs. En janvier 2012, l’UEFA annonçait que les clubs européens de football atteignaient un déficit record de 1,6 milliard d’euro
Le principe du plafonnement de la masse salariale des clubs professionnels a été adopté par le Parlement français par la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs. Afin de garantir la compétitivité de nos clubs professionnels, il apparait évident que la limitation de la masse salariale de ces entreprises soit actée au niveau européen. La France ne peut rester isolée sur ces questions sous peine d’handicaper gravement l’attractivité de ses compétitions.  (...) L’instauration du salary cap européen permettra à la fois de limiter l’inflation des salaires des joueurs professionnels mais aussi de limiter les déficits des clubs.  En conséquence, afin de favoriser l'équité sportive, la pérennité des compétitions et d’éviter l’endettement des clubs, il est donc proposé d’instaurer un plafond salarial au niveau européen pour les clubs sportifs professionnels."
La proposition de résolution européenne stipule que :
"Considérant qu’il est légitime de répondre aux aspirations de l’opinion publique sur la limitation de la masse salariale des clubs sportifs européens tout en soulignant l’importance économique de ces entreprises ; Considérant que seule une position européenne peut garantir une concurrence sportive et économique non faussée entre les clubs des différents pays de l’Union européenne ;  Demande à la Commission européenne de soutenir la mise en place d’un plafond de la masse salariale pour les clubs sportifs professionnels. Ce plafond devra être fixé en accord avec les instances sportives européennes, auxquelles les clubs sont affiliés.

Qu'est ce que le salary Cap? L'exemple des ligues nord-américaines

Le salary cap est un mécanisme qui limite la somme d’argent qu’une équipe peut dépenser dans les salaires de ses joueurs. Son objectif est de préserver l’équilibre des forces en présence en évitant que les équipes les plus riches dominent la ligue en recrutant les meilleurs joueurs. Ce système est relativement récent à l’échelle de l’histoire des ligues nord-américaines. En effet, le système de la clause de réserve limitant la mobilité des joueurs a longtemps permis de poursuivre le double objectif de limitation de l’inflation salariale et de préservation de l’équilibre compétitif. Toutefois, l’assouplissement de la clause à partir de 1976 a modifié l’état du marché du travail. Des joueurs expérimentés, à l’expiration de leur contrat, étaient dorénavant libres de négocier un nouveau salaire aussi bien avec leur ancien club qu’avec une équipe concurrente (free agents). Cette situation a engendré une guerre des salaires profitable aux équipes les plus riches susceptibles de déséquilibrer le championnat par un tel comportement.

Le premier salary cap de l’ère moderne est mis en place en NBA lors de la saison 1984-1985. Il plafonne alors la masse salariale d’une équipe à 3,6 millions de dollars. En 1998, le cap était fixé à 26,9 millions de dollars (augmentation de 747% en 13 ans). Le CBA, de juillet 2005 pour une période de six ans, assure aux joueurs une part de 51% des revenus de la ligue (49,5 millions de dollars par équipe pour la saison 2005-2006). Peut-être vous souvenez vous que cette saison NBA a été amputée de quelques matches justement parce que les modalités de rémunération étaient à nouveau discutées. Le plafonnement salarial de la NBA est considéré comme un « soft cap ». A titre d’illustration, lors de la saison 2001-2002, les salaires étaient plafonnés à 42,5 millions de dollars par équipe. Seules deux équipes étaient sous le cap. Les 28 autres dépassaient ce montant, dont 16 par plus de 10 millions de dollars et deux par plus de 40 millions de dollars. Le système du cap est peu efficace en NBA à cause d’une dizaine d’exceptions permettant de dépasser le montant autorisé. La plus connue est l’exception « Larry Bird », du nom du légendaire joueur des Boston Celtics. Elle permet à une équipe de proposer un nouveau contrat à l’un de ses joueurs devenu libre, quand bien même le nouveau salaire contribuerait à excéder le niveau du salary cap. Cette mesure a pour objectif de permettre aux équipes de conserver leurs joueurs vedettes et de satisfaire ainsi les fans attachés à ces athlètes ayant contribué à l’histoire de la franchise.

En 1994, la NFL a adopté un « hard cap » extrêmement rigide où aucune équipe ne peut dépasser le montant maximum autorisé, sous peine de s’acquitter de pénalités financières. Initialement, le montant du cap était fixé à environ 65% des Defined Gross Revenues (DRG, basés sur la vente de billets, les contrats télévisuels et le merchandising). En mars 2006, une extension du CBA remplace les DRG par les TFR (Total Football Revenues), fixant le cap à 102 millions de dollars. Pour 2006, le salary floor (la masse salariale minimale) est de 75 millions de dollars par équipe. 

En NHL, les négociations d'un CBA ont débouché sur un lockout provoquant l’annulation de la saison 2004-2005. C’est une décision sans précédent dans l’histoire des circuits majeurs aux Etats-Unis. Pour la première fois depuis 1919 (en raison d’une épidémie de grippe espagnole), la Coupe Stanley n’a pas été remise. Cette annulation a pour origine un rapport indépendant qui révèle une situation inquiétante : le rapport Levitt (Levitt Jr, 2004). Pour la saison 2002-2003, les 30 équipes accusent une perte annuelle cumulée de 273 millions de dollars, soit en moyenne, 9,1 millions par club.

La commission Levitt impute cette situation à l’inflation des salaires dont on peut constater l’accélération brutale depuis 1990. A cette date, Bob Goodenow arrive à la tête de l’Association des Joueurs de la NHL. Il préconise aux joueurs de divulguer publiquement leurs salaires afin que ceux-ci puissent comparer leur valeur. Cette stratégie de transparence fournit un levier de négociation qui transforme le marché du travail en faveur des joueurs. Le salaire moyen passe de 558 000 dollars en 1993 à 1,79 millions de dollars dix ans plus tard. En 2002-2003, les coûts salariaux liés aux joueurs atteignaient 1,494 milliards de dollars, soit 75% des revenus de la ligue. Le commissaire de la NHL, Garry Bettman, recommande l’instauration d’outils de contrôle des coûts. Il justifie ainsi sa position : 
« le challenge à venir est de s’assurer que nous ayons un système économique qui permette à tous nos clubs d’être économiquement viables, stables et compétitifs là où ils sont actuellement localisés. Tous nos fans ont besoin de savoir au début de la saison que leur équipe a une bonne chance de remporter la Coupe Stanley comme n’importe quelle autre équipe. Cela dépend seulement de la somme dépensée par les équipes dans la masse salariale.» 
Finalement, les joueurs consentent à l’établissement d’un plafonnement salarial. Pour la saison 2005-2006, le salary cap est fixé à 39 millions de dollars par équipe avec un plancher à 21,5 millions de dollars par équipe. Pour les années suivantes, le plafonnement est indexé sur les revenus de la ligue. Cette mesure est accompagnée d’une restriction sur les salaires individuels qui ne pourront dépasser 20% de la masse salariale du club.

(la partie précédente est extraite de ma thèse de 2007)

Un salary-cap européen, les questions à se poser

Il n'est pas inintéressant d'observer que le concept d'équilibre compétitif, très prisé des économistes du sport, figure tel quel dans une proposition de résolution. Sur ce billet, vous trouverez les éléments de définition de l'équilibre compétitif. 

Le plafonnement des salaires à l'échelle européenne est un serpent de mer qui travaille l'imaginaire des acteurs et observateurs du sport pro au moins autant que l'instauration d'une NBA européenne. Déjà en 2008, dans le rapport Besson sur la compétitivité des clubs de football français un point est intitulé "Préserver l’équilibre budgétaire des clubs par le plafonnement de la masse salariale (« salary cap ») et la limitation du nombre des contrats". De façon explicite, une recommandation du rapport est d'"Encourager la mise en place d’un plafonnement du ratio masse salariale sur chiffre d’affaires à l’échelle européenne". Toujours dans ce rapport, on peut lire : 
"Toutefois, l’application d’une telle mesure ne se ferait pas sans tensions : d’une part les joueurs seraient réticents à la mise en place d’une mesure aboutissant au plafonnement de leur rémunération (...); d’autre part, certains clubs, parmi les plus riches, sont hostiles aux outils minorant leur capacité de recrutement. (...)
Il convient en outre de rappeler l’incertitude juridique qui plane sur l’instauration d’une telle mesure. Dans son Livre blanc sur le sport, la Commission européenne précise que ni la Cour de Justice Européenne ni la Commission n’ont pris de décision ou position formelles sur cette mesure; de sorte qu’il n’est pas possible de dire actuellement si elle déroge au droit communautaire."

A mon sens, les questions à se poser sont :
  • le salary-cap fonctionne t-il? Les économistes du sport s'accordent à dire qu'en théorie, un plafonnement des salaires serait bénéfique à l'équilibre compétitif. Cela-dit, tout dépend de quel système de plafonnement : s'il est souple, comme en NBA, il sera relativement inefficace; s'il est dur, comme en NFL, cela peut contribuer à instaurer de l'incertitude. 
  • le texte prévoit que le "plafond devra être fixé en accord avec les instances sportives européennes, auxquelles les clubs sont affiliés". Est-ce à dire que c'est à l'UEFA de fixer le montant du cap ou bien à l'EPFL (European Professional Football Leagues)? Une négociation avec les représentants des joueurs serait-elle envisagée? 
  • Quelle va être la réaction de l'UNFP
  • La mesure serait-elle appelée à perdurer? Saviez vous qu'en 1900 le championnat anglais a mis en place un salaire maximum? Cette mesure a été abandonnée en 1961. 
  • A quel niveau fixe t-on le salaire maximum? l'UEFA compte 53 fédérations. Vous imaginez la grande diversité des clubs et leur capacité inégale à dégager des revenus et assumer des salaires. J'entends bien qu'il s'agit de contrôler les coûts mais la mesure ne serait-elle pas restrictive pour des clubs en mesure de bien rémunérer leur joueurs? C'est là un réflexe typiquement français que de vouloir "harmoniser" à l'échelle européenne pour contrôler les coûts sans avoir à se poser la questions du travail à effectuer pour améliorer le chiffres d'affaires. Les grands clubs européens qui bossent pour dégager des revenus importants et octroyer des salaires conséquents sans pour autant se mettre dans le rouge vont rigoler quand on va venir leur expliquer qu'il faut maintenant caper le montant des salaires. 
  • Sinon, cette mesure est valable pour les autres sports??? 
  • Le texte motive son utilité par un contrôle des coûts et un maintien de l'incertitude du résultats. C'est un classique dans la régulation des ligues pro : les propriétaires de clubs interpellent souvent le régulateur/législateur sur le besoin impérieux d'instaurer un salary cap en faisant valoir l'intérêt général et celui des fans (une compétition équilibrée et indécise) en y voyant surtout une possibilité de contrôler ses coûts. Voyez le cas du Milan AC
  • Les députés qui proposent ce texte considèrent "qu’il est légitime de répondre aux aspirations de l’opinion publique sur la limitation de la masse salariale des clubs sportifs européens."Je voudrais bien qu'on m'explique ce que l'opinion publique y connait en régulation du sport pro. Veut-on limiter les salaires pour préserver l'équilibre compétitif, pour éviter les déficits ou encore dire au citoyen/électeur "regardez, ces joueurs trop payés, nous allons limiter les salaires indécents". 
  • Quelle méthode retenir? Un plafonnement absolu? Dans ce cas aucun club ne pourra dépenser plus qu'une base 100. Comment motiver cela après des clubs qui génèrent 1000 de revenus? Un plafonnement relatif? Dans ce cas la masse salariale d'un club ne pourrait excéder disons 50% du chiffre d'affaires d'un club. Dans ce cas, la moitié de 1000 fera toujours plus que la moitié de 100. 
  • Sinon, il y a un truc simple pour limiter les déficits, cela s'appelle une bonne gestion et ça consiste simplement à ne pas dépenser plus qu'on a et ça marche très bien sans salary cap. 
  • Enfin, les outils de régulation du marché des joueurs (transferts et salaires) pour favoriser un maintien de l'équilibre compétitif fonctionnent convenablement dans un système fermé. Veut-on alors à terme une super-ligue européenne qui édicterait ses propres règles (autre serpent de mer). 

5 commentaires:

  1. Vous soulignez un point important, celui du système de ligue.

    Comme le souligne Bertrand Panhuys (je vous recommande la lecture de son ouvrage: le basket professionnel, analyse d'un sport-spectacle mondialisé issu de sa thèse) la grande différence entre les ligues américaines et celles européennes c'est que celles américaines fonctionnent en circuit fermé mais aussi en franchise alors que celles européennes sont dites ouvertes.

    Le sytème de ligues (NHL, NBA, MLS, NHL la feu XFL...) permet cette régulation. Il est néanmoins permit de faire des transferts de deux ou trois joueurs au delà de ce seuil (ex: Beckham au Los Angeles Galaxy; Henry au NYRB; Nesta à Toronto) ce qui permet de maintenir la concurrence entre les clubs (cf. système de draft aux Etats-Unis.

    Le modèle américain permet plus d'harmonisation donc plus de concurrence (et donc plus de spectacle).

    Pour que cela soit étendu ou accepté en Europe, il faudrait pour cela reconstruire le modèle tout entier, mais serait-il profitable à tous, j'entends par là, à tous les sports ?

    Le problème ne se pose que pour le football (même si en rugby certains élèvent la voix contre le modèle économique Toulonnais ou Toulousain) car c'est ce dernier qui capte la majorité des droits de retransmission, la majorité d'attention...

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    1. Oui vous n'avez pas tort. Lé régulation géo-économique du modèle fermé nord-américain est abordé sur ce blog. Si le sujet vous passionne, je vous renvoie à :
      OKC en finales NBA... : http://hell-of-a-sport.blogspot.fr/2012/06/okc-en-finales-nba.html
      Matchday Experience : le Dodger Stadium : http://hell-of-a-sport.blogspot.fr/2012/05/matchday-experience-le-dodger-stadium.html
      l'encarté : la diffusion des ligues majeures en Amérique du Nord : http://hell-of-a-sport.blogspot.fr/2012/04/lencarte-la-diffusion-des-ligues.html

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  2. Vous dites que le salary cap n'est pas forcément nécessaire si l'on impose une "bonne gestion" ("ne pas dépenser plus qu'on a").
    Je pense que le but d'une telle mesure est de réguler le marché global des salaires de footballeur. Dans ce cadre, imposer une bonne gestion ne contraindra pas les mécènes à arrêter leurs folies (qui faussent le marché des salaires de footballeur), puisqu'il leur suffira d'offrir, en tant que sponsor par exemple, les sommes d'argent nécessaires au fonctionnement du club dont ils sont propriétaires.

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  3. l'AS Saint-Etienne doit sans doute être le premier club français à avoir mis en place ce type de mesure, avec succès. la limite fixée est de 90 000 € brut/mois + jusqu'à 40% de primes en plus : ça permet de payer les factures !! Cette position est intéressante ("si tu veux jouer sous nos couleurs mythiques, accepte ce salaire maxi") mais peut-elle être dupliquée dans les clubs plus ambitieux ?
    Je comprends bien l'intérêt d'une telle mesure pour l'économie du football mais je serais choqué qu'elle soit imposée par l'UE : ont-ils réfléchi à un salary cap dans l'industrie, dans le cinema, dans les autres sports ?? pourquoi uniquement le football ? est-ce tenable face à une juridiction, si un club ou un joueur se rebellait ?
    Excellent article, en tout cas ..

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  4. Bonjour Mr Helleu,

    Je me présente ROLLAND Hugo, je suis actuellement en 2ème année de Master en Management du sport à l'école AMOS à Paris.
    Je me permet de répondre à ce post car je souhaite réaliser mon mémoire sur le Salary Cap.
    En effet, j'aimerai m'orienter vers l'idée d'un salary cap européen et votre article m'a donné quelques pistes et angles d'attaque pour mon mémoire.
    Je souhaite réaliser un parallèle entre les ligues fermées aux USA à ce sujet et les ligues ouvertes en Europe (Rugby en France et football (avec l'exemple de l'ASSE).
    Pourriez-vous me transmettre votre adresse email que l'on puisse en parler plus longuement et voir s'il est possible de vous interviewer dans le cadre de mon mémoire dans les prochains mois ?
    Vous pouvez me contacter à l'adresse suivante : hrolland@live.fr

    Dans l'attente de votre réponse, je vous souhaites une excellente journée.

    Cordialement,

    ROLLAND Hugo

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